musique liturgique : dossiers


accueil | liste des messes | chant grégorien - partitions | chant grégorien - tuto mp3 | définitions A-Z | recommandations | j'apprends à lire - solfège grégorien | dossiers | liens|

Les épisèmes - extraits de conférences du Père Daniel SAULNIER


Ce dossier est extrait des Sessions inter-monastique de 2004, 2005 et 2006. Le texte a été reconstitué à partir des notes prises par les auditeurs au cours des conférences du Père Daniel SAULNIER.


  Résumé - (source : Un nouvel Antiphonaire Monastique, 2005)

  Neumes et « signes rythmiques »

  On a pris l’habitude d’appeler ainsi trois signes ajoutés par les éditions de Solesmes aux livres de chant du XXe siècle : le point mora, l’épisème vertical et l’épisème horizontal.
  Le point mora et l’épisème vertical ne correspondent à aucune donnée traditionnelle du chant grégorien. Ils n’apparaissent dans aucun manuscrit médiéval et n’ont été introduits dans les éditions de Solesmes que pour promouvoir une théorie rythmique du chant grégorien (basée sur les considérations du Nombre musical grégorien), dont le caractère obsolète a été depuis longtemps démontré. Bien plus, ils se sont révélés en contradiction avec les principes élémentaires de lecture des neumes médiévaux. Plus précisément, cette théorie rythmique, dans la mesure où elle inflige une distorsion rythmique aux mots et aux phrases chantées, apparaît en contradiction avec les principes élémentaires de composition de la musique liturgique, qui repose fondamentalement sur le service du texte sacré.
  L’épisème horizontal n’apparaît que dans deux ou trois manuscrits médiévaux de l’office sur les quelques centaines de documents qui nous sont parvenus. Ce n’est pas un signe rythmique, mais un signe expressif. Il n’informe pas le chanteur sur le rythme élémentaire ; il précise seulement – et encore de façon très ambiguë pour un chanteur du XXe siècle – une nuance infime du rythme (ce que les musiciens appellent depuis un siècle l’agogique). La logique des scribes médiévaux diffère profondément de celle des modernes éditeurs de partition. Le signe ajouté (épisème) par un copiste médiéval n’est pas destiné à être lu par le chanteur et encore moins interprété par lui. Attibuer aujourd’hui à un tel signe une valeur prescriptive, c’est entrer directement en contradiction avec l’intention des compositeurs et des scribes. Malheureusement, tout, dans l’éducation musicale classique nous y pousse…

  La plupart des choeurs amateurs sont dans l’incapacité de produire des nuances aussi subtiles, réservées à des solistes exercés ; et l’interprétation exagérée qu’ils en donnent les amène finalement à une déformation du rythme fondamental de pièces grégoriennes aussi simples que les antiennes, basé sur la déclamation du texte et la marche de la mélodie.

  Le rythme fondamental du chant grégorien est donné par la déclamation du texte et la marche de la mélodie. Les signes ajoutés aux neumes médiévaux n’indiquent pas le rythme mais d’infimes nuances d’agogique, voire des ornements vocaux, accessibles seulement à des spécialistes chevronnés.



Les épisèmes

 Doubler la note d’accent comme sur Pilato, c’est faire une cadence redondante là où il n’y en a pas. On n’a pas de manuscrits ; pour tout le répertoire de l’office on a des centaines de manuscrits, et un seul qui donne les signes rythmiques (Hartker). On a transféré de façon indue sur le répertoire de l’office une réflexion qui était légitime, je crois, sur le répertoire de la messe. Autrement dit, l’écriture neumatique n’est pas une écriture musicale ; c’est analogique ; mais les signes dits rythmiques, c’est encore plus analogique. Un épisème dans un Graduel, ça n’a pas du tout le même sens que dans une antienne quasi syllabique. Si l’épisème est sur un neume d’un seul son (monosonique), il n’a pas le même sens que sur un neume de deux sons. Dans la cadence finale d’antiennes à la rigueur… Quand j’ai travaillé sur l’antiphonaire, j’avais étudié calmement cette question des signes rythmiques et j’avais soumis une petite question très prudente à Dom Claire : je lui avais montré le point à la fin d’une phrase. Il m’a dit : « Celui-là, il est parfaitement explétif. Donc, il faut laisser aller »…

 Le signe rythmique mis par Hartker l’est une fois, ça ne veut pas dire que les autres fois, il n’y a pas le même souci : Le Père Ménager, paléographe avisé, qui a vu énormément de choses dans les manuscrits, avait étudié l’intonation Do-Ré-Ré-La-Sib-La. Il avait remarqué l’épisème sur le La. Et puis, grande énigme, voilà qu’arrivé à telle page du manuscrit l’épisème disparaît ! Pourquoi ? Le manuscrit n’est pas systématique : il l’a fait un certain nombre de fois ; cet épisème est en quelque sorte superflu. S’il ne le met pas, ça ne change pas le sens (cf. P. Jean Claire « S’ils n’ont pas compris, il ne comprendront jamais »).


« Signes rythmiques et signes rythmiques »

 Le Père Cardine a fait un article qui s’appelle Théoriciens et théoriciens ; et bien moi je dis « Signes rythmiques et signes rythmiques »… La bataille sur les signes rythmiques est perdue d’avance, elle n’a aucun intérêt parce qu’on ne parle pas de la même chose.

 La première distinction est entre les signes rythmiques présents dans les manuscrits et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui ne sont pas présents dans les neumes sont les épisèmes verticaux et les points. Le point d’abord, qui est censé, dans la théorie de Dom Mocquereau, doubler le son, n’apparaît même pas dans les manuscrits. C’est une interprétation d’autres signes (La longueur interprétative des cadences, il y met un point). L’épisème vertical n’existe pas, en fait dans les manuscrits.


Signes rythmiques des manuscrits

 Ce qui existe dans les manuscrits, c’est l’épisème horizontal. Dom Mocquereau a reconnu l’épisème horizontal, qu’il rencontre dans les manuscrits, mais il n’a pas reconnu (ou n’a pas pu : on ne va pas faire son procès) d’autres signes rythmiques qui sont aussi importants. Je pense qu’à la place d’un épisème sur une clivis, on peut mettre un tenete. Ou bien un celeriter. Ces signes, il ne les a pas pris en compte. La forme spéciale d’un neume, un oriscus, par exemple, la différence entre la bivirga, la tristropha, il ne l’a pas prise en compte. Encore une fois, on ne fait pas son procès. Il l’a dit lui-même : il aurait voulu les prendre, et c’est « la mort dans l’âme » qu’il y a renoncé pour des raisons économiques : un signe de plus dans une police, ça coûte une fortune…


Signes rythmiques absents des manuscrits

 D’autres signes rythmiques ne sont pas dans les manuscrits, ce sont les barres, grandes, petites, moyennes. Je vous montrerai quelques exceptions, quelques signes de phrasé dans les antiennes.

 Donc, signes rythmiques qui sont dans les manuscrits et signes rythmiques qui ne le sont pas : on n’a pas le droit, il n’est pas honnête, intellectuellement, de les confondre.


Signes agogiques

 Deuxième distinction : signes rythmiques ou signes agogiques.

 Je pense que les mots nous trompent et qu’il y a quelque chose qui n’est pas honnête à parler de signe rythmique à propos de l’épisème ; parce que l’épisème n’indique pas le rythme. Le rythme est dans la parole, dans la mélodie et, à la rigueur, dans le neume. Autrement dit, dans le mouvement mélodique ascendant de trois sons, s’il y a une nuance agogique sur une note, ce n’est pas de l’ordre du rythme. C’est ce que les musiciens appellent « le tempo du tempo », c’est minime, un micro-rythme. Et quand nous faisons travailler nos choeurs, qui sont des professionnels parce qu’ils chantent pendant cinq heures tous les jours mais qui ne sont pas des musiciens professionnels, il y a erreur sur la matière de leur demander des micro-nuances s’ils n’ont pas fait d’abord le rythme. Ce qui est important dans un scandicus c’est d’abord de faire les trois sons qui montent et qui sont bien orientés. Il y a un rythme de base qui est de suivre le mouvement du neume. Ensuite, si l’on a fait cela, alors oui, mettons des nuances agogiques… Ne confondons pas une grande barre et un épisème de nuance. Il est très difficile de rendre compte de toutes ces nuances agogiques. D’où le problème des éditions. J’ai préparé quelques exemples dans l’office pour vous montrer que c’est très difficile de donner cette notation hyper-précise comme le demande Dom Mocquereau, ne serait-ce que pour l’office.


Pédagogie des signes agogiques

 Chaque fois que se rencontre une difficulté dans la lecture du répertoire, essayez de la résoudre non pas en termes quantitatifs de neumes (ici, il y a un épisème, un oriscus…) mais en termes de déclamation.


Syllabes de différents calibres

 Ceci dit, on y regarde de plus près et on voit que les syllabes ont des tailles variées, des calibres différents.

 La première chose à laquelle on est sensibles, parce qu’on est assez matériels dans nos approches, c’est la phonétique. De ce point de vue, il y a une différence : des grosses syllabes, les syllabes chaudes (« a », « o ») ; les syllabes froides (« i » ou « é ») ; et ceci est renforcé par les consonnes : celles qui magnifient la prononciation de la syllabe (on chemine vers la liquescence), et d’autres qui semblent au contraire la diluer. Le Père Cardine aimait bien prendre trois exemples (j’en ai oublié un, mais je peux le reconstituer facilement) : Ita Dominus : ce sont des syllabes ordinaires. Et les syllabes trop légères, trop fluides : filii impii. Il y en a six et ça peut durer pourtant bien moins longtemps. Et puis : non confundentur, il n’y en a que cinq et ça dure beaucoup plus longtemps que six. C’est la première approche, vous la savez. Attention dans le style, à ne pas manger les syllabes froides et à ne pas faire exploser les syllabes chaudes ; rien de plus. Je vous ai donné l’exemple Mirabile mysterium. Un petit épisème sur Mi… pour qu’on ne fasse pas Mirabile. On soigne le mot. Ceci, c’est ce que tout le monde saisit à la première lecture.


Les trois valeurs de la syllabe

 On a un étalon de référence, qui est la syllabe de la déclamation. Nous avons vu que, dans les pièces simples, semi-ornées du style des antiennes de l’office, Temporal et Sanctoral, l’épisème sur un groupe de notes signifie seulement qu’on conserve ce tempo. Cela signifie que, s’il n’y a pas d’épisème, lorsqu’on chante une syllabe, le tempo se fluidifie. Ce que vous voyez dans les neumes, habituellement, par des graphies cursives.

 Dans les premiers temps de l’étude de la sémiologie où on a vu ces phénomènes, le Père Cardine a proposé une classification en trois valeurs :

  - la valeur centrale, ce serait cette valeur syllabique moyenne.

  - Et puis, on a peut-être en deçà un tempo plus fluide : il a parlé d’une « valeur diminuée ».

  - Ou bien, on peut être plus fort ; c’est le cas de l’épisème sur une seule note dans les antiennes (rex, cor…).


Signification de l’épisème sur un neume de plusieurs notes.

 Exemple des antiennes dites « IV A »

 Dans certains cas, le compositeur ne souhaite pas que le tempo se fluidifie sur une syllabe, parce que le rythme de la composition est mémorisé par ses chanteurs. Le meilleur exemple de cela ce sont les antiennes que vous connaissez (Dans Hartker, le manuscrit de l’an mille, le premier manuscrit noté, il y en a une centaine…) : ces antiennes … qui n’appartiennent à aucun mode d’après le P. Gajard. Quaerite Dominum dum inveniri potest… On a fait des tableaux et on a vu que dans cette antienne, qui est une sentence, un rythme — Je pense que Joseph Samson aurait dit un nom —, un être, une sorte de loi, de dicton bien frappé, on ne peut pas changer la mélodie. Quand le texte se raccourcit, on est obligé de mettre plusieurs notes sur une syllabe. Le chanteur, normalement devrait fluidifier son débit, mais la tradition l’en empêche parce que le rythme est syllabique. Pour signifier qu’on ne doit pas fluidifier son débit dans ces synérèses, le scribe de Hartker met un épisème sur les neumes. Autrement dit, dans les antiennes de l’office de ce niveaulà, quand vous voyez un épisème sur un groupe de notes, ça n’a jamais voulu dire de ralentir, d’insister, ça n’a jamais eu une prétention musicale mystique : il s’agit de vous dire : gardez la valeur de la déclamation.

  et des- cen- det su- per nos (Exspectetur. p 218)

  mo- or- su- us tu- u- us (O mors p 445)

 C’est l’épisème sur un groupe de notes. Sur un neume d’une seule note, l’épisème a une valeur magnifiante : ce mot-là, renforcez-le, soignez-le. Ecce Dominus veniet ; le mot de l’Avent, on le magnifie, Hartker met un épisème. Eructavit cor meum… : même dans la psalmodie des versets d’Introït et de Communion, on met un épisème sur ce mot cor.

 Autrement dit le même signe a deux significations différentes dans les mêmes compositions selon qu’il est appliqué à des neumes d’une seule note et à des neumes de deux, trois, quatre notes.


Fixation du répertoire par les théoriciens médiévaux du XIe s

 Je vous ai montré que, dans les antiennes, l’épisème sur un son isolé a une signification différente que lorsqu’il est sur un neume de plusieurs sons. Donc, le musique n’est pas dans les signes. Mais si vous connaissez la convention, ça ne vous gêne pas. Même chose avec l’orthographe française : ça a été fixé à un moment donné pour dire « il y a ceux qui savent et il y a les autres… ». C’est un parallèle, il ne faut pas le forcer plus.

 La critique que je fais aux signes rythmiques, (il y en a de différentes sortes d’ailleurs), c’est lorsque nos chanteurs, surtout dans les monastères, voient ces signes qui n’ont pas été faits pour eux, mais pour des gens qui avaient une autre culture, une autre approche de la musique. Ils font alors ce que tout le monde fait : ils font, or ces signes ne sont pas là pour être faits.

 Il y a des signes, cela est vrai, dans les manuscrits, mais ils ne veulent pas dire que l’on s’arrête. Ils veulent dire autre chose pour des gens qui ont déjà acquis et par la parole et par la mélodie, le rythme général de la composition. Qu’ils reçoivent, eux, de tradition. Car à l’époque jusqu’au milieu du XIe siècle et probablement bien après dans certains milieux, le chant liturgique se transmet uniquement par répétitions. Je vous donnerai l’exemple de cette lettre de Guy d’Arrezo à des amis où il raconte comment avant lui, il fallait 10 ans pour être maître de choeur, c’est-à-dire qu’il fallait 10 ans pour mémoriser le répertoire, moyennant plusieurs heures par jour. « Maintenant grâce à notre invention, même les plus difficiles en moins de deux ans y arrivent » !



les épisèmes


 L’antienne du soir de Noël, vous la connaissez par coeur : Hodie…, mais comment allez vous faire quand vous n’aurez plus tous les épisèmes !!! Parmi les centaines de manuscrits de l’office qui nous sont parvenus, le plus ancien, qui est de l’an 1000 et qui s’appelle et est surnommé antiphonaire de Hartker, est conservé à Saint Gall dans la bibliothèque du monastère, sous la côte 390-391. Il a des épisèmes, comme dans le Cantatorium, comme dans le triplex, et des lettres. Il est le seul de toute l’histoire. Donc il ne faut pas exagérer l’importance des épisèmes, la plupart des moines et des moniales n’ont jamais connu l’épisème, et ils ont chanté pourtant beaucoup ! A Saint Gall, on a noté ces signes là — au moins dans ce manuscrit là, et dans une de ses copies.

 Dans l’antienne Hodie, on va avoir : Hodie ' ; mais la virgule n’est pas un endroit où respirer ; après le natus est, on peut respirer, si on veut. Les épisèmes de détail avaient souvent été mis pour préparer, souligner. Il faudra continuer à bien chanter : Salvator apparuit (en soignant le apparuit) ; c'est de la musique, il n’y a pas de raison de l’écrire, surtout si l'on prend en compte le niveau musical dans nos monastères (A la fin d’une conférence, le Père Abbé Longeat a dit : "Voyons, dans un monastère comme les nôtres, combien de personnes lisent le livre ? Peut-être trois !" Je crois que c’est assez vrai.…).
Hodie, in terra canunt angeli… Là, on apprend quelque chose qui se fait chez tous les musiciens : chanter ensemble, non pas sur la base d’une indication millimétrée ; sentir ensemble, dire ensemble une parole. C’est peut-être plus difficile que la méthode de Solesmes, mais il me semble que c’est davantage cela, la musique sacrée.


L'épisème, quelle valeur rythmique ?

 Je cherche à provoquer votre critique, vos réactions vis-à-vis de pratiques reçues depuis longtemps : par exemple, l'épisème n'est pas en soi un signe d'insistance. S'il a disparu des éditions, vous pouvez le faire disparaître aussi de la pédagogie.


Deux graphies, relatives l'une à l'autre

 Dans les valeurs rythmiques du chant grégorien, il y a toutes les possibilités : des notes extrêmement fluides ou, au contraire, très appuyées, avec une sorte de palette, continue. Mais pour les représenter, le scribe n'a que deux valeurs : soit la graphie est cursive ou non cursive. Donc la graphie cursive ne correspond pas toujours à la même valeur. Devant la représentation d'un torculus cursif et d'un torculus non cursif, on peut seulement faire une comparaison : elles sont relatives l'une à l'autre. Ce n'est pas parce que vous avez une clivis épisémée au début de la pièce et une autre à la fin qu'elles ont la même durée.


Sur un neume de plusieurs notes : la valeur syllabique de l'épisème

 (démonstration dans les antiennes dites IV A)

 Selon quelle logique le scribe de Saint Gall place ou non un épisème ? La démonstration en a été faite par le Père Cardine dans la "Sémiologie Grégorienne", ouvrage dont le chanoine Jeanneteau avait l'habitude de dire qu'il fallait lire seulement cette page, la page 22.

 Dans ce contexte, il est hors de question de dire que l'épisème est un signe d'insistance : il signifie au contraire : continuez dans le même rythme. Par conséquent lorsqu'on fait remarquer au choeur que telle clivis est épisémée, on est en train de dériver puisqu'on va les conduire à appuyer ; alors qu'en gardant le rythme de la déclamation, syllabe par syllabe, le problème est résolu. Ceci vaut pour les neumes de plusieurs sons et non pas pour un neume d'un seul son, une virga épisémée par exemple.

 Si on devait mettre des signes, ce serait ceux que Dom Mocquereau et Dom Gajard n'ont pas mis, c’est-à-dire les celleriter. Ce qui faudrait indiquer, c'est l'absence d'épisème, quand il faut fluidifier.


différence entre valeur syllabique et valeur fluide

 Question : Vous disiez qu'il n'y avait que deux manières de noter la durée relative des sons dans les manuscrits ; mais dans le nouvel Antiphonaire, sans épisèmes, il n'y en aura plus qu'une…

 Réponse : oui, mais cette unique manière est homogène avec le répertoire chanté ; la référence, c'est la valeur syllabique dans un répertoire quasi syllabique.

 Ce qu'on perd, dans la nouvelle édition de l'Antiphonaire, c'est la différence entre ces deux valeurs, cela je ne le nierai pas. Dans les pièces de ce livre, au moins pour le vieux fond où la mélodie est faite pour ces mots, et même les antiennes un peu plus ornées, comme celles des jours de fête, en supprimant les épisèmes je me prive effectivement d'une nuance ; mais lorsque je chante bien le mot avec sa mélodie, je suis plus proche de ce que voulait le compositeur et de ce qu'a écrit le scribe que je ne le suis quand je "fais les épisèmes" (2 fois la valeur de la note). Ce que je perds n'est rien à côté de ce que je gagne. Ce chant-là est pensé comme chant de la Parole et la mélodie y colle parfaitement en permanence.


Les épisèmes : 3 manuscrits sur 300…

 Sur les quelque 300 manuscrits de l'Office disponibles à l'atelier de Paléographie (comptez qu'il y en a 50 en plus dans le monde), il y en a peut-être 3 qui ont jamais eu des épisèmes : à saint Gall uniquement. Donc l'épisème n'a jamais été utilisé comme référence pour le chant jusqu'en 1912… Donc ça vaut la peine d'essayer de s'en passer.

 Pourquoi l'ont-ils été en 1912 ? Solesmes "disait "le texte avec sa mélodie ; les gens ont voulu en faire autant. Dom Mocquereau avait commencé, comme maître de Choeur, à annoter son livre et on a pensé qu'on pouvait noter cela pour tout le monde ; on a finit par avoir un signe toutes les deux ou trois notes. Le maître de Choeur, on n'en a plus besoin, c'est rêvé !

 C'est dans la logique des Ordres religieux : chez les dominicains, chez les Chartreux, dans les manuscrits de XIVe siècle il y a des barres qui font presque toute la portée et entre lesquelles il n'y a jamais plus qu'un mot, deux si ce sont des monosyllabes… Chez les Chartreux surtout, ce qu'il faut éviter absolument, c'est la classe de chant. Ce système recevra inévitablement l'accord des supérieurs : plus de batailles, plus de débat, c'est marqué ! C'est ça la raison pour laquelle on a adopté ces signes. Ils se sont développés dans les milieux où on n'avait pas la diction latine, où on ne chantait qu'une fois par semaine…

 Avant tout, dire le texte, c'était la doctrine du Chanoine Gontier, de Dom Pothier, au moins à 50 % celle de Dom Mocquereau… C'est celle de la préface de l'Hymnaire, dans son dernier paragraphe ajouté par Dom Cardine :

"Les dispositions de cette préface découlent de l'adéquation parfaite entre le texte sacré et la mélodie grégorienne. C'est pourquoi, ceux qui en chantant s'appliquent à la diction latine ipso facto jouissent de la plus grande partie de ce qui est requis pour bien exécuter la cantillation grégorienne."

 Question : Quand il faut fluidifier, vous laissez cela à l'interprétation du maître de Choeur ?

 Réponse : oui, les finesses c'est au maître de Choeur de les obtenir là où il le peut - veut.


Sur un neume d'une note : la valeur de l'épisème

 Co. "Vidimus stellam… adorare eum" (uncinus dans Laon, et dans st Gall)

 Il peut arriver que pour une raison d'éloquence, on veuille insister et donner plus de poids à cette syllabe. Ici l'épisème indique effectivement qu'il faut faire plus que la valeur syllabique.

 "Nativitas est hodie" Ant. 1934 p 1032 "… cunctas illustrat ecclesias" épisème. Analyser la raison pour laquelle il est là… ce n'est pas simple. En tout cas le scribe note une sorte de noeud rythmique pour un son monosyllabique.

 Dans les tons d'Introït et de Communion, on a cela systématiquement pour les monosyllabes accentués "Eructavit cor meum Deus" : dans st Gall le mot "cor" aura toujours un épisème.




    Conclusion :


    DANS LE CAS D'UN NEUME MONOSYLLABIQUE D'UN SEUL SON, L'ÉPISÈME SIGNIFIE QU'IL FAUT DONNER PLUS QUE LA VALEUR SYLLABIQUE.

    DANS LE CAS D'UN NEUME DE PLUSIEURS SONS, L'ÉPISÈME SIGNIFIE QU'IL FAUT DONNER JUSTE LA VALEUR SYLLABIQUE…




L'option d'enlever les signes : ses fondements

 Dans une même pièce, le même signe aura souvent deux significations contradictoires…

 Ces signes que nous trouvons dans Hartker (manuscrit de l'an 1000 qui contient essentiellement les antiennes et les répons de l'Office) sont ceux qui ont été utilisés (et donc sans doute crées) pour la première fois dans le but d'orner le Cantatorium de st Gall et qui ne contient que les chants du soliste. Les signes que nous appelons rythmiques et qui nous disent soi-disant les nuances dans le chant des antiennes réservées à l'assemblée sont les mêmes que ceux qui indiquent les nuances de Bel canto du Graduel, du Trait et de l'Alléluia pour le soliste ! Est-il légitime de s'adresser de la même manière au soliste et à la Communauté ?

 D'autre part, le livre qui contient ces signes n'est pas utilisé pendant la célébration (Le nom du Maître de choeur à Cluny est… Armarius, le responsable de l'armoire. Le livre est dans l'armoire). On n'a jamais chanté en suivant ces signes. Ils ont bien pour but de consigner quelque chose de l'interprêtation du chant mais ils ne sont pas conçus comme une partition, une prescription, comme une blanche ou une noire. C'est un reportage qui est fait avec un filtre extrêmement rudimentaire parce qu'il ne laisse passer que deux possibilités.

 Voilà toutes les raisons qui conduisent à dire qu'il y a une illégitimité pour ne pas dire une imposture à appeler ces signes "signes rythmiques" et à les imposer dans le chant de l'assemblée.


À quoi étaient destinés ces signes ?

 À quoi étaient destinés ces signes ? c'est une des grandes questions qui n'est pas résolue. Pourquoi a-t-on écrit ?

 Remarque f Louis-Marie : A la Synagogue de Nazareth, Jésus avait-il besoin du livre ? Le livre, Codex ou rouleau, peu importe, signifie très profondément que ce que le lecteur va lire, même s'il le connaît par coeur, il le reçoit. N'est-ce pas ici la même chose ?

 Réponse : tout à fait. On rencontre cela dans d'autres régions du monde. On m'a signalé dans certaines régions d'influence bouddhistes : il y a des livres ; jamais le Maître ne les utilise pour transmettre le chant.

 Le Décalogue ce sont les 10 paroles. Et pourtant il faut un écrit. Le mariage, l'échange de consentements, ce sont des paroles ; il faut un écrit…

 Le chantre a besoin de cette espèce de loi écrite du chant. Dans le livre d'Amalaire, il n'y a rien, ce sont deux plaques en ivoire ou en bois orné ; ensuite on mettra des livres dedans mais à l'époque, il n'y a rien. Celui qui chante est "autorisé". Idée juridique, idée de contrôle.

 Qui écrit ? Le chantre, le scribe. Aujourd'hui on ne sait pas trop. Lorsqu'on arrive au XIIe siècle, on est à peu près sûr que ce ne sont pas les chantres qui écrivent : leur écriture est pure calligraphie et ne suit pas le rythme. Par contre dans les manuscrits les plus anciens, st Gall (Laon est plus théorisé), le dessin de la plume évoque tellement le dessin de la voix qu'on pense que le chantre est présent, au moins comme contrôleur.




 Hartker (+ 1011 ou 1017), moine de St Gall.





contact : musique.liturgique @ gmail.com - site créé le 1er mars 2006